LValeurs Actuelles n° 3636 paru le 4 Août 2006
L’affaire
qui ébranle le PS
François
Hollande sera-t-il mis en examen pour ses liens présumés
avec l’ancienne mutuelle des instituteurs, aujourd’hui
en faillite ? C’est ce que réclament à la justice
les milliers d’anciens sociétaires ruinés par
une gestion calamiteuse.
Ceux
qui croyaient que la justice finirait par s’endormir sur le
dossier du Cref en seront pour leurs frais. À peine la juge
Sylvia Legendre a-t-elle clos, le 10 juillet, son instruction sur
la gestion du Cref et les abus présumés ayant concouru
à sa faillite, qu’une autre bataille commence, nettement
plus gênante politiquement pour le PS : les parties civiles
exigent désormais la mise en examen de François Hollande
– entre autres – dans le cadre de ce même dossier
!
Depuis que Valeurs Actuelles a révélé le scandale
du Cref, dans son numéro du 29 juin 2001, les investigations
de la juge du pôle financier de la rue des Italiens, à
Paris, épaulée par les policiers de la Brigade financière,
avaient déjà abouti à neuf mises en examen pour
abus de confiance, dont celle, emblématique, en février
2002, de l’ancien ministre socialiste des Affaires sociales,
René Teulade, qui a cumulé la présidence de la
mutuelle et celle de la Fédération nationale de la Mutualité
française, de 1974 à 1992. Le même René
Teulade qui, dans son inoubliable rapport sur les retraites remis
en 2000 à Lionel Jospin, concluait à l’urgence
de ne toucher à rien !
C’est que, non content d’avoir été le “pape”
du mutualisme à la française, René Teulade fut
aussi, jusqu’en 2003, à la tête du comité
économique, social et culturel du PS. Engagé politiquement
sur le terrain, suppléant du député Hollande
jusqu’en juin 2002, il est toujours le maire socialiste d’Argentat,
en Corrèze.
Mais ces mises en examen sont loin de satisfaire les 450 000 anciens
sociétaires du Cref, regroupés au sein du CIDS (Comité
d’information et de défense des sociétaires de
la mutuelle retraite de la fonction publique). Il est vrai que la
plupart de ces fonctionnaires, souvent modestes, ont été
spoliés, voire ruinés – on estime que leurs pertes
financières représentent jusqu’à 75 % de
l’épargne investie –, après la disparition
du Cref, mort de la gestion pour le moins aléatoire de ses
responsables.
De sa gestion mais aussi des largesses que se sont accordés
ces derniers, des années durant, tant à eux-mêmes
qu’à leurs amis (lire Valeurs Actuelles du 11 juillet
2003) : frais de bouche somptuaires, “club direction”
avec maître d’hôtel recourant aux plus grands traiteurs
de la place de la Madeleine, cartes de crédit corporate, golden
parachute dignes d’une multinationale, voitures de fonction,
logements spacieux pris en charge et équipés aux frais
de la direction… Bref, l’esprit mutualiste ! Application
peut-être un peu trop large du principe de la “répartition”,
prôné par le Cref, par opposition au système de
“capitalisation”, jugé, comme son nom l’indique,
trop “capitaliste”…
Pour les parties civiles, défendues notamment par Me Nicolas
Lecoq-Vallon, on est donc loin du compte : d’autres personnes
sont susceptibles d’être poursuivies. Disposant d’un
délai légal pour formuler une dernière “demande
d’actes”, l’avocat réclame sept nouvelles
mises en examen. Celles notamment de Danielle Mitterrand et de François
Hollande, en leur qualité, respectivement, de présidente
et trésorier de l’association Cause commune.
Les faits remontent à la fin des années 1980. Le siège
de l’association était situé dans le bâtiment
même de la mutuelle au 1, rue Paul-Baudry dans le VIIIe arrondissement
de Paris. Selon les policiers de la Brigade financière, qui
enquêtent alors sur plusieurs associations proches du Cref,
le dossier Cause commune démontre que les loyers n’ont
pas été demandés au responsable de l’association
qui, à l’époque, était Danielle Mitterrand,
l’épouse du président de la République.
Aucune facture, aucun règlement d’un loyer ni d’aucune
charge n’a été retrouvé par les enquêteurs
lors des différentes perquisitions, tant au siège du
Cref qu’à celui du Gaia, l’organisme qui gérait
le parc immobilier de la mutuelle. Interrogé le 24 avril dernier
par les policiers – ils ont fait le déplacement rue de
Solférino, au siège du PS –, François Hollande
a déclaré ne rien savoir : « J’ai été
trésorier de l’association de 1984 à 1986, a-t-il
expliqué. La présidente était effectivement Mme
Mitterrand. Je savais, comme trésorier, que cette association
était hébergée dans les locaux de l a mutuelle,
comme d’autres associations, mais je n’avais pas connaissance
des conditions du bail, ignorant même s’il y avait un
bail ou pas. En 1986, j’ai quitté l’association
sans avoir à connaître le moindre rappel de factures
ou autres. »
Étonnamment, les policiers se contentent des réponses
du premier secrétaire du PS. Ils n’iront pas plus loin.
« Qu’un trésorier ne se préoccupe pas d’une
charge aussi naturelle qu’un loyer, d’autant plus dans
une association présidée par l’épouse du
président de la République, remarque un avocat, paraît
assez peu crédible, même si les faits remontent à
plus de vingt ans. »
Des
avantages en nature particulièrement généreux.
Pourtant,
François Hollande a été dûment informé
des sorties de route de la mutuelle. Et ce, dès le mois de
juin 2000, via une lettre adressée par un ancien cadre du Gaia,
Georges Pétret. Celui-ci s’insurgeait contre les largesses,
à ses yeux indues, consenties sur les fonds de la mutuelle
: « Tous les permanents de l’UN (l’Umrifen) profitent
d’avantages en nature pour lesquels leurs salaires d’enseignants
ne leur permettraient pas de payer des impôts. » Et pour
que les choses soient bien claires, il ajoutait à l’intention
de François Hollande : « À la réception
de ce courrier, vous ne pourrez plus prétendre ne pas être
au courant de cette situation. » François Hollande n’a
jamais accusé réception.
Quant à Danielle Mitterrand, elle a jusqu’à présent
opposé un total mutisme aux demandes réitérées
des policiers. Ils sont même allés jusqu’à
transmettre leur demande d’audition par l’intermédiaire
de leurs collègues chargés de la sécurité
de Mme Mitterrand. En vain.
Autre personnalité dont le CIDS souhaiterait la mise en examen
: l’ancien directeur financier de la mutuelle, Pierre-Yves Morin,
qui s’est vu remettre un chèque de plus de 9 millions
de francs, dont une indemnité de licenciement de plus de 5
millions pour une perte du droit à la préretraite. Or,
explique-t-on au CIDS, « Il ne pouvait bénéficier
d’une telle indemnité faute d’avoir atteint l’âge
prévu par la convention collective, soit 55 ans, puisqu’il
en avait 52 lors de son licenciement. » C’est pour cette
raison que l’avocat des sociétaires demande aussi la
mise en examen de Pierre-Yves Morin pour abus de confiance et recel.
Mise en examen réclamée encore, pour Pascal Beau, responsable
de l’association Espace social européen. À l’époque,
l’association publiait un mensuel auprès duquel la mutuelle
avait souscrit des abonnements excédant ses propres besoins
: 570 000 francs, en 1992, plus 340 000 francs de publicité
sans intérêt pour la mutuelle. Laquelle, là encore,
avait pris en charge le loyer de l’association : 321 000 francs,
pour la même année. Bizarrement, Pascal Beau n’a
jamais été entendu. Or, sur ces mêmes faits, René
Teulade a été mis en examen pour la seconde fois, le
31 mai 2006, pour abus de confiance et recel, dans ce dossier concernant
les abonnements souscrits auprès de la revue Espace social
européen.
L’enquête, commencée il y a plus de quatre ans,
arrive donc à son terme. Les découvertes réalisées
lors des différentes perquisitions et autres auditions ces
derniers mois ont confirmé les goûts de luxe de certains
dirigeants, sur le dos des sociétaires. Il faut rappeler, entre
autres, ces factures émanant du prestigieux épicier
de la place de la Madeleine : 9 315, 55 francs réglés,
en mars 1997 par l’Umrifen pour… quatre repas arrosés
d’un seul grand cru. En février de la même année,
ces “séances de dégustation”, toujours facturées
par Fauchon, s’étaient élevées à
24 788, 61 francs.
De même, l’instruction a clairement mis en évidence
les facilités octroyées aux privilégiés
qui décrochaient de spacieux appartements pour le prix d’un
studio et encore sans aucune commodité. C’est Pierre
Teulé Sensacq, président de l’Umrifen depuis novembre
2001 – c’est-à-dire après le rapport de
l’Igas (Inspection générale des affaires sociales)
révélant les abus de la mutuelle – qui a lui-même
décrit au juge la situation dont il avait héritée.
Notamment cet appartement de 130 mètres carrés dont
bénéficiait une certaine madame P., place de Breteuil,
pour un loyer de
2 800 francs. Elle avait produit un bail à vie, signé
par René Teulade, avec un loyer indexé… Toujours
l’esprit mutualiste.
Les exemples sont nombreux, cela n’a rien de surprenant : le
patrimoine immobilier de la mutuelle a été estimé
à 120 000 mètres carrés pour une valeur d’environ
3,5 milliards de francs.
Difficile de dire si la juge Legendre accédera à la
demande des parties civiles de procéder à sept nouvelles
mises en examen avant de clore définitivement son instruction.
En revanche, ce qui est sûr désormais, c’est qu’il
y aura un procès, à n’en pas douter, riche en
révélations. Peut-être d’ici à un
an, en tenant compte des délais habituels de la justice française.
Franck Hériot