Frédéric Fritscher
11/01/2008 | Mise à jour : 21:00 | Commentaires 23
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Par Gérard Lafay, professeur à l'université
Paris-II.
Pour rechercher les freins à la croissance française,
Nicolas Sarkozy a eu la mauvaise idée de confier la
présidence d'une commission d'experts à Jacques
Attali. Celui-ci avait déjà eu l'occasion d'exercer
ses méfaits pendant les deux septennats de François
Mitterrand, dont il était l'un des conseillers les
plus écoutés. Il n'est donc pas étonnant
qu'il ait proposé une solution qui va à l'encontre
du bon sens le plus élémentaire.
Chacun
sait en effet que l'économie française est affectée
par l'insuffisance de la force de travail, qui entrave nos
capacités de croissance et handicape nos régimes
de retraite. L'origine de ce défaut se trouve d'abord,
chez nous, dans d'absurdes mesures de limitation du travail,
tant par le rétrécissement de la période
d'activité (retraite à 60 ans) que par le raccourcissement
de la durée hebdomadaire (35 heures), deux mesures
phares des socialistes. En outre, la baisse excessive du taux
de fécondité depuis plus de trente ans a eu
comme conséquence une implosion démographique
dont les effets catastrophiques commencent à se faire
sentir sur tout le continent européen, encore davantage
chez nos partenaires qu'en France.
Pour
résoudre ces problèmes angoissants, les seules
solutions raisonnables sont celles qui s'attaquent aux racines
du mal. D'un côté, il faut remettre en cause
toutes les mesures limitatives qui, aujourd'hui, ne peuvent
plus être considérées comme des «acquis
sociaux» ; les premières dispositions prises
par le gouvernement pour favoriser le travail vont donc dans
le bon sens, à condition d'offrir aux salariés
de légitimes contreparties. De l'autre côté,
il faut mener une politique démographique globale de
long terme, en liant la nature même des régimes
de retraite à la constitution du capital humain ; même
si la situation est encore plus catastrophique chez la plupart
de nos voisins d'Europe que dans notre pays, la France reste
en dessous du seuil de renouvellement des générations,
correspondant à un taux de fécondité
de 2,1 enfants par femme en âge de procréer.
La
politique d'une immigration sélective, préconisée
par le rapport Attali, est au contraire l'exemple type d'une
fausse solution. C'est une formule à courte vue, bien
qu'elle ait déjà été préconisée
antérieurement par des hommes de droite, apparemment
intelligents, comme Alain Juppé. Même si l'économie
française souffre de besoins en travailleurs compétents
dans certains domaines, c'est d'abord une erreur qui découle
d'une vision étroitement économiste. L'immigration
actuelle a déjà un coût réel qui
est difficilement supportable pour la France, que mon collègue
Jacques Bichot a estimé à 24 milliards d'euros
par an. Il faudra y ajouter le coût de l'intégration
inéluctable des immigrés déjà
présents sur le territoire national, pour un montant
que j'ai moi-même estimé à 12 milliards
d'euros par an*.
À
cette erreur du point de vue français s'en ajoute une
autre, qui est encore plus grave sur le plan mondial. Si nous
en venions à accueillir chez nous les travailleurs
les plus qualifiés, cela signifierait en même
temps que nous priverions les pays d'émigration de
ces compétences. Ce ne serait pas trop grave pour les
pays émergents en expansion rapide, qui ont d'ailleurs
peu de chances de voir partir leur main-d'œuvre la plus
qualifiée. Mais pour le continent africain, d'où
viennent les principaux flux migratoires, ce serait désastreux,
qu'il s'agisse du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne. Ces
économies ont déjà une croissance insuffisante,
qui n'arrive pas à freiner les flux migratoires. Si
les plus qualifiés de leurs nationaux, formés
chez nous, renonçaient à revenir au pays d'origine,
a fortiori si leurs cadres partaient en France et en Europe,
chacun de ces pays continuerait à s'appauvrir, entraînant
une immigration de masse qu'aucun barrage n'arriverait plus
à endiguer.
Jacques
Attali a déjà exercé ses ravages pendant
les septennats mitterrandiens. Que le président Sarkozy
n'écoute surtout pas cette incarnation du socialisme
le plus funeste !
*Voir
«Immigration/Intégration», colloque de
l'Institut de géopolitique des populations, actes publiés
sous la direction de Jacques Dupâquier et Yves-Marie
Laulan (L'Harmattan, 2007).
Les deux bombes
du rapport Attali
Marie-Christine
Tabet
10/01/2008 | Mise à jour : 16:47 | Commentaires 402
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Selon
Jacques Attali, le rapport devrait compter plus de 300 propositions.
La commission considère que l'immigration est une source
de création de richesse, donc de croissance. Crédits
photo : AFP
Relancer l'immigration et supprimer les départements
figurent parmi les propositions phares du rapport sur la croissance
dont Le Figaro a eu connaissance.
La relance de la croissance par l'immigration ! C'est l'une
des propositions phares du rapport que Jacques Attali s'apprête
à déposer sur le bureau du chef de l'État
le 23 janvier prochain. Depuis le 30 août dernier, à
la demande de Nicolas Sarkozy, l'ancien sherpa de François
Mitterrand, entouré d'une quarantaine de personnalités,
phosphore sur les pistes à suivre pour retrouver la
route de la prospérité. Les rapporteurs de la
commission travaillent aujourd'hui sur les dernières
pages de l'ouvrage qui devrait compter, de l'aveu même
de son concepteur, plus de trois cents propositions. La recherche
du consensus n'est pas toujours aisée.
Sur
l'immigration, de l'écrivain Theodore Zeldin au psychiatre
Boris Cyrulnik en passant par les chefs d'entreprise et autres
démographes, il semblerait, selon des sources proches
de l'Élysée, que les participants se soient
rapidement ralliés à l'idée que la France
doit «faciliter la délivrance de visas aux étrangers».
Cette conviction se fonde sur deux principes. Pour faire face
à un marché du travail en tension, la France
devra recourir à la main-d'œuvre étrangère,
de plus en plus nombreuse dans les années à
venir. Une note récente de Bercy prévoit qu'à
l'horizon 2015 la France sera confrontée à des
besoins de recrutement évalués à 750
000 par an. Mais surtout la commission va plus loin. Elle
considère que l'immigration, facteur de développement
de la population, est en tant que telle une source de création
de richesse, donc de croissance.
Échecs de l'intégration
L'idée
de la réouverture du marché du travail n'est
pas nouvelle, même à droite. En 1999, Alain Juppé
penchait déjà en faveur de cette thèse.
Mais la proposition n'en reste pas moins sulfureuse.
Depuis
2002, Nicolas Sarkozy, qui s'est frotté aux problèmes
d'immigration au ministère de l'Intérieur, plaide
pour une maîtrise des flux migratoires. En 2007, il
a inscrit ce projet politique au cœur de sa campagne
électorale et en a fait l'un des points d'orgue de
son discours. Stratégie qui lui a notamment servi à
faire baisser au Front national. En début de semaine,
lors de sa conférence de presse, il affirmait haut
et fort son intention de poursuivre cette politique avec l'instauration
de quotas. Il y a quelques semaines, dans une interview à
La Tribune Jacques Attali marquait sa différence :
«La France a besoin d'immigration, il faut s'ouvrir
aux travailleurs d'Europe de l'Est, aux Chinois, aux pays
d'Afrique. Sans cela, toutes nos belles discussions sur le
financement des retraites n'auront pas de sens.» Cette
proposition promet de relancer la polémique. Les échecs
de l'intégration montrent qu'avant d'ouvrir largement
les frontières, les dirigeants devront répondre
à un certain nombre de questions. Quels seront les
effets d'une telle mesure sur le marché du travail
? Ne risque-t-elle pas de tirer les salaires vers le bas ?
Quelle politique du logement faut-il mettre en œuvre
pour l'accompagner ? Même si les conditions de vie des
immigrés se sont nettement améliorées
au cours des dernières années, le surpeuplement
dans les appartements qu'ils occupent est plus fréquent
(28,4 % contre 5 % pour le reste de la population). Enfin,
le nombre d'étrangers vivant en zone sensible a augmenté
de 13,3 % au cours des années 1990.
Toutefois,
Nicolas Sarkozy pourra trouver un lien avec la politique qu'il
a lui même engagée dans le travail de la commission.
Ce sont en effet les lois de 2006 et de 2007 qui ont autorisé
le travail des étudiants étrangers en France
à l'issu de leur cursus universitaire ou encore la
suppression de l'autorisation préalable à l'embauche
dans certains bassins d'emploi ou secteur d'activité.
Enfin, la présentation du contrat de travail peut être
un des facteurs de régularisation de certains clandestins
employés dans des métiers en mal de recrutement.
Des
réactions prudentes
au rapport Attali
D.
Ch., F. C. et M. Vt
21/01/2008 | Mise à jour : 09:03
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Les professions concernées par les 314 réformes
envisagées préparent leur argumentaire.
Parmi les trois cent quatorze mesures proposées dans
le rapport que Jacques Attali doit remettre officiellement
cette semaine au président de la République,
certaines serviront de base au gouvernement pour accentuer
les réformes. «Toute une série de points
ont déjà été anticipés»,
a souligné hier Christine Lagarde, la ministre de l'Économie.
En revanche, d'autres mesures du rapport termineront dans
un tiroir. En attendant, la guerre de lobbying pour pousser
ou contrer certaines idées a déjà commencé.
Président
de la Fédération des entreprises du commerce
et de la distribution secteur pour lequel le rapport préconise
notamment de restaurer la liberté des prix et d'installation
Jérôme Bédier se dit «très
favorable à l'esprit de concurrence. Donc, ça
nous paraît aller dans le bon sens, mais il faut regarder
de plus près, concrètement, comment on fait
les choses. C'est bien de supprimer les commissions départementales
d'équipement commercial à condition que des
règles d'urbanisme encore plus contraignantes ne viennent
pas s'y substituer. Quant à la liberté des prix,
cela nous aidera dans notre combat pour limiter les augmentations».
Les
entreprises, de leur côté, se félicitent
de certaines des mesures préconisées : «Comment
ne pas se réjouir de la proposition de réduire
les délais de paiement, de celle d'assouplir les seuils,
ou encore d'assouplir le coût du travail ?», demande
Jean-Eudes du Mesnil, à la CGPME. Sur l'idée
de créer une agence pour guider les PME de moins de
20 salariés dans leurs démarches administratives
«c'est bien, mais pourquoi se limiter à 20 salariés
?», nuance-t-il. Avant de se montrer nettement plus
sceptique sur «trop» de concurrence : «Attention
à ne pas nuire à la qualité : vendre
des médicaments sans ordonnance dans la grande distribution,
ça pose quand même un certain nombre de problèmes.»
Tout comme «changer les règles du jeu pour les
taxis. Il faudra réfléchir aux compensations»,
notamment celles à l'ouverture totale du marché
parisien.
«Un bon outil pour réformer»
Côté
éducation, «de nombreuses propositions semblent
positives», juge Anne Kerkhove, présidente de
la PEEP (Fédération des parents d'élèves
de l'enseignement public). «D'autres demandent, en revanche,
à être examinées plus attentivement. »
Ainsi, l'introduction de l'économie dès le primaire.
«Rien ne sert d'enseigner de nouvelles matières
si les enfants n'ont pas appris à lire correctement,
estime-t-elle. Assurons-nous d'abord que les fondamentaux
sont acquis. » Quant à l'évaluation des
enseignants par leurs élèves ou le stage civique
d'une semaine, «pourquoi pas ?», demande la présidente
de la PEEP.
Jean-Pierre
Finance, président de la Conférence des présidents
d'universités (CPU), ne voit de son côté
rien de «particulièrement nouveau» dans
les recommandations du rapport Attali sur l'enseignement supérieur.
«Sur l'encadrement ou sur l'autonomie des universités,
ses propositions vont dans le sens des réformes déjà
engagées, en allant simplement un peu plus loin, souligne-t-il.
Or, il serait justement plus prudent de commencer par mettre
en œuvre les changements déjà initiés.»
Les
économistes, eux, ont plutôt tendance à
applaudir le travail, «synthèse de tous les rapports
rendus ces dernières années», selon l'un
d'entre eux. «Si on applique tout ce qui y est recommandé,
on gagne sans problème et durablement un point de croissance
supplémentaire», renchérit Nicolas Bouzou,
économiste chez Asterès. Et de poursuivre :
«Ce rapport, c'est un bon outil sur lequel le gouvernement
va pouvoir s'appuyer pour lancer les réformes. Désormais,
il n'a plus d'excuse !»
Départements
:
la commission Attali a tort
Frédéric
Fritscher
11/01/2008 | Mise à jour : 20:56 | Commentaires 19
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Par Jean-Luc Bœuf, directeur général des
services de la région Franche-Comté, maître
de conférences à l'Institut d'études
politiques de Paris.
«Aujourd'hui, on est généralement d'avis
que la division départementale ne répond plus
aux besoins de notre époque […]. En présence
de la rapidité inouïe dont bénéficient
actuellement les communications et les transports, le maintien
des départements […] paraît une choquante
anomalie.» Ce constat, tiré de l'ouvrage Les
Lieux de mémoire de Pierre Nora, ne date pas d'aujourd'hui…
mais de 1911 !
Jacques
Attali entend apporter une réponse aux critiques portées
contre le découpage territorial français : il
suffirait de simplifier le paysage institutionnel en supprimant
le département, échelon dont la légitimité
et la pertinence sont remises en cause par ses liens privilégiés,
pour l'instant, avec l'État et par une place apparemment
marginale dans les nouvelles formes d'action territoriale.
Historiquement,
les «quatre-vingts petits roquets» (allusion à
la phrase de Thouret, en 1790, lors du découpage de
la France) sont une création de l'État, qui
les préférait à «quinze gros chiens-loups».
Ils ont longtemps encadré le territoire sans avoir
une pleine légitimité locale.
L'idée
de supprimer l'échelon départemental serait
d'autant plus séduisante qu'au regard de ses voisins
européens, la France continue de se singulariser par
sa complexité territoriale, qui vient s'ajouter à
l'émiettement communal, avec plus de 36 500 communes,
et par l'essor de nouveaux échelons intercommunaux,
qui empiètent sur les compétences des départements.
Les critiques sont bien connues et reposent sur de réels
ressentis de la part des citoyens. Ceux-ci ne s'y retrouvent
absolument pas dans nombre d'actions, notamment entre communes
et intercommunalités où les conflits de compétences
se multiplient. Au demeurant, cherchent-ils vraiment à
distinguer ce qui relève de l'État et des collectivités
locales ? Ils sont surtout attentifs au service tel qu'il
peut être rendu.
Ces
critiques doivent nous interpeller. Mais la proposition d'abolir
un échelon, aussi séduisante qu'elle soit, se
révèle en réalité inopérante.
En
effet, le département constitue l'échelon naturel
des solidarités territoriales. Rien ne sert d'opposer
en permanence les niveaux de collectivités entre eux,
ou de les rassembler de manière faussement simple en
«couples», avec, d'une part, celui formé
par l'État et les Régions et, d'autre part,
celui formé par les départements et les communes.
Ce qui amènerait de fait à la séparation
absurde entre, d'un côté, une vision globale
et cohérente et, d'un autre côté, une
approche de proximité.
Cessons
donc de pointer le département comme un échelon
archaïque : ce sont eux qui se sont attelés à
la réduction de la fracture numérique par la
mise en œuvre de politiques d'investissement dans les
réseaux à haut débit. Ce sont les départements
qui construisent, entretiennent et gèrent les locaux
de plus de 7 000 collèges en France. Sans parler des
routes départementales, qui forment un réseau
de plus de 370 000 km soit l'équivalent de la distance
de la Terre à la Lune…
Renforçons
au contraire les domaines où le département
apparaît naturellement comme la collectivité
de référence. Le département est la seule
collectivité à suivre les individus fragiles
depuis leur naissance jusqu'à leur mort, à partir
de politiques sociales dynamiques. Plus d'un million de bénéficiaires
du revenu minimum d'insertion pris en charge par les conseils
généraux, aussi bien pour leurs allocations
que pour leur réinsertion, plusieurs centaines de milliers
de personnes âgées bénéficiaires
de l'allocation personnalisée d'autonomie, ou encore
les structures et opérations liées à
la protection maternelle et infantile. De même, en matière
d'aménagement du territoire, au vu des budgets souvent
insuffisants pour la réalisation de projets d'envergure
et pourtant structurants (comme les réseaux d'assainissement
par exemple) des communes ou de leurs groupements, l'aide
des départements est souvent la première à
laquelle ces collectivités font appel.
Le
«statu quo étant impossible et la révolution
improbable», les propositions pour l'évolution
sont dès lors à trouver ailleurs que dans la
suppression d'un échelon administratif.
Couplons
l'intercommunalité et le conseil général,
en faisant de ce dernier le «conseil des communautés».
On règle de ce fait la question de la légitimité
de l'intercommunalité, le caractère obsolète
du mode de désignation des conseillers généraux.
Le tout, sans stigmatiser le département !
Cette
proposition contre le mythe de la suppression d'un niveau
de collectivité en évitant de stigmatiser le
département et la commune au motif d'un découpage
administratif trop étriqué. Elle s'appuie sur
la carte intercommunale française et instaure une circonscription
électorale unique dédoublée : la commune
et l'établissement public de coopération intercommunale.
On permet de ce fait au département de demeurer l'échelon
naturel des solidarités territoriales, en prenant en
compte simultanément les spécificités
des territoires ruraux et urbains. On assoit la légitimité
de l'intercommunalité en l'érigeant au statut
de collectivité locale élue au suffrage universel
direct et on contribue à faire émerger un intérêt
communautaire pleinement approprié par les élus
des assemblées intercommunales. On instaure enfin une
instance pérenne de dialogue entre les intercommunalités
d'un même département.
Supprimer
un niveau de collectivité locale est une idée
si souvent avancée et ô combien cartésienne
pour résoudre les «maux territoriaux» !
Affirmons le tout net : chaque niveau de collectivité
ayant sa pertinence, ayons l'audace de nous placer vraiment
sur le terrain de la représentation politique.