"Kouchner et BHL sont irresponsables"
Propos recueillis par Jean-Michel Demetz et Pierre Ganz dans le cadre de l’émission RFI-L’Express L’invité de la semaine (EXPRESS)
mardi 6 novembre 2007


Ancien président de Médecins sans Frontières, Rony Brauman tire les leçons de l’opération de l’Arche de Zoé. Entretien.

Comment une équipée aussi rocambolesque est-elle aujourd’hui possible ?
Dans l’ensemble, la confiance règne vis-à-vis de gens qui se présentent avec une ambition noble et généreuse. Et il est très difficile de vérifier les intentions réelles d’un groupe qui affirme, par exemple, comme dans le cas de cette association, vouloir installer un centre d’accueil à destination des enfants dans une partie reculée du pays. Si cette ONG a tenu un double discours, en prétendant fonder un centre alors qu’en réalité, ils voulaient ramener des enfants en France, ce n’est qu’une fois le délit constitué qu’il peut être puni.

Mais comment en est-on arrivé là ?
Il y a eu, semble-t-il, une tentative d’enlèvement d’enfants. Cette idée qu’il faut arracher des enfants à leur milieu pour les sortir de la misère ou de la mort est très répandue. J’en ai constaté les effets dès 1978, quand je travaillais dans un camp de réfugiés cambodgiens à la frontière thaïlandaise. J’ai vu des petits groupes débarquer afin de « faire leur marché aux enfants » : certains étaient animés d’intentions louables, comme l’Arche de Zoé ; d’autres avaient des visées plus malveillantes et perverses, de type pédophile.

Pourquoi, dès lors, ne pas davantage réguler les ONG ?
C’est une affaire compliquée. La liberté d’association est un droit fondamental. La loi de 1901 sert à créer des associations de boulistes comme des ONG internationales. Je me souviens avoir travaillé avec le cabinet de Bernard Kouchner, quand ce dernier était secrétaire d’Etat à l’action humanitaire, afin de voir si nous pouvions adapter cette loi aux contraintes juridiques spécifiques de l’aide humanitaire internationale. Nous avions conclu qu’une réforme apporterait plus de problèmes que de solutions.

Au-delà des responsabilités juridiques qui pèsent sur les acteurs de l’Arche de Zoé, y a-t-il une responsabilité morale dans cet imbroglio ?
Oui. Elle repose sur les épaules de ceux qui, forts de leur statut intellectuel et de leur présence sur la scène publique, ont installé l’idée que tous les enfants de cette région étaient à court terme condamnés à mort et qu’une guerre génocidaire était en cours. C’est d’ailleurs ce qu’on peut lire sur le site de L’Arche de Zoé : « 800 000 enfants vont mourir avant la fin de l’année… » Des enfants broyés, démembrés, jetés dans les puits : ce sont des images évoquées par des gens comme Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy qui se réclament d’une expérience de terrain et qui, de retour à Paris, mobilisent afin d’élever le niveau de conscience en vue de provoquer une intervention armée internationale au Darfour. Ces gens-là sont irresponsables lorsqu’ils répandent des idées simplistes et ils incitent à des actions du type de celles entreprises par L’Arche de Noé.

Quel est le mobile de ceux que vous dénoncez comme des irresponsables ?
Je ne peux m’empêcher de remarquer que Bernard Kouchner se sent intellectuellement et philosophiquement proche de courants néo-conservateurs ultra-interventionnistes sur le plan international et dont l’objectif est de constituer des forces d’action internationale. C’est l’option défendue par Kouchner : chaque crise humanitaire doit donner lieu à une intervention armée, de préférence sous couverture de l’Onu mais si ce n’est pas possible, on y va, au nom du droit de l’ingérence… Quand on fait croire à l’opinion que c’est Auschwitz qui se joue dans les sables du Darfour, que des centaines de milliers d’innocents vont voir leurs destins brisés, il ne faut pas s’étonner que certains soient prêts à renverser toutes les barrières et rompre les digues pour sauver des vies. Entre le symbole et la tromperie, la limite est ténue.