L'autoritarisme de Rachida Dati exaspère et inquiète les magistrats
mercredi 05 septembre 2007


L'autoritarisme de Rachida Dati exaspère et inquiète les magistrats
LE MONDE | 05.09.07 | 14h42 • Mis à jour le 05.09.07 | 14h42

Rachida Dati est la ministre la plus populaire - et l'une des seules visibles - du gouvernement. Sa cote de popularité est nettement moins forte chez les magistrats, dont elle est issue et dont elle a la charge. L'autoritarisme de celle qui s'est présentée, lundi 3 septembre, sur Canal+, comme "chef des procureurs" irrite les syndicats.

Les relations entre la garde des sceaux et les procureurs
La garde des sceaux. En se présentant comme le "chef des procureurs", Rachida Dati s'appuie sur l'article 30 du code de procédure pénale, qui définit, depuis 2004, les attributions du garde des sceaux : "Le ministre de la justice conduit la politique d'action publique déterminée par le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d'action publique. Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes."

Le parquet. Selon l'article 31 du code de procédure, "le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi". L'article 33 précise qu'"il est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données (...). Il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice."

Comme l'a révélé LePoint.fr, deux nouveaux collaborateurs, Jacques Carrère (désormais chargé d'une mission) et Valérie Bonnard, ont quitté son cabinet, portant à sept le nombre des défections, depuis le départ de son premier directeur de cabinet, Michel Dobkine. "Une recomposition normale", pour le successeur de ce dernier, Patrick Gérard ; un signe nouveau de la fébrilité qui règne Place Vendôme, pour ses détracteurs.

"Si le directeur n'a plus le droit de réformer un tiers de son équipe, ce n'est plus un directeur de cabinet, explique Patrick Gérard. La plupart sont restés en place, mais il y avait des recompositions à faire. Cinq personnes s'occupaient de l'action pénale. Certains ne sont pas faits pour ce travail qui demande beaucoup de disponibilité." La nouvelle composition du cabinet a été publiée mercredi 5. Il comporte 18 membres dont 7 magistrats.

"Il y a une ambiance menaçante, lourde, un climat de peur", évoque un ancien du cabinet. Valérie Bonnard, en charge du dialogue social et des questions budgétaires, a été priée du jour au lendemain de ne pas revenir au bureau.

"CONCEPTION MONARCHISTE"


C'est la personnalité de la ministre qui est visée. Des témoins évoquent des scènes de colère, d'humiliation, dénoncent son autoritarisme. "Elle a une forme de brutalité qui inquiète, doublée parfois d'une confusion sur le fond des dossiers. Il faut que son entourage porte sans cesse ses défaillances et beaucoup ne l'ont pas supporté", souligne l'un de ses collaborateurs. "Son caractère autoritaire est un mythe. Elle est exigeante avec les autres comme avec elle-même", plaide Patrick Gérard.

Rachida Dati a un mode de fonctionnement inhabituel dans un ministère où l'on aime mettre les formes. L'administration y cultive une culture interne très hiérarchisée et relativement lente. "Elle a plutôt une culture de l'entreprise et du ministère de l'intérieur", note un conseiller de la Place Beauvau. Sans expérience politique et ministérielle, elle est entrée dans ses fonctions en choisissant d'y imposer son style et son "tempo", mot qu'elle répète très souvent. Elle a donc d'emblée voulu bousculer les habitudes, le rythme administratif, y compris sur des dossiers qui réclament parfois du temps et du doigté.

La convocation, le 29 août, du vice-procureur de Nancy, Philippe Nativel, en est l'illustration. Sur la foi d'un article de L'Est républicain, celui-ci a été aussitôt convoqué à la chancellerie avec sa hiérarchie, par le directeur des services judiciaires, à la demande de la ministre, et en présence du directeur adjoint de cabinet. Le ton de la rencontre fut glacial. Un procès-verbal de l'interrogatoire a été réalisé par une greffière. "C'était bien pour lui. On a découvert qu'il avait demandé à sa hiérarchie de démentir les propos qui lui étaient attribués. Il n'y a pas eu de sanctions", plaide Patrick Gérard.

Le débat sur la place des magistrats du parquet et l'autoritarisme de la ministre a été relancé quand elle s'est présentée comme "chef des procureurs" sur Canal+, lundi. "Ils sont là pour appliquer la loi et une politique pénale", a-t-elle précisé, en ajoutant : "La légitimité suprême, c'est celle des Français qui ont élu Nicolas Sarkozy pour restaurer l'autorité. Les magistrats rendent la justice au nom de cette légitimité suprême."

"On ne rend pas la justice au nom de Nicolas Sarkozy, on rend la justice au nom du peuple français", réplique Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), qui souligne que les procureurs ne sont pas "des préfets judiciaires". Laurent Bedouet, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), dénonce "une conception totalement monarchiste de la séparation des pouvoirs".

"Notre liberté de parole s'inscrit dans la loyauté de nos rapports hiérarchiques et le respect de notre devoir de réserve. Nous nous exprimons en conscience, et pas comme les porte-parole d'une autorité supérieure", explique Joël Guitton, président de la Conférence des procureurs, qui ne cache pas sa "préoccupation".

Raphaëlle Bacqué et Alain Salles
Article paru dans l'édition du 06.09.07.
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Défiance croissante des milieux judiciaires à l'égard de Rachida Dati et de la politique de Nicolas Sarkozy
LE MONDE | 03.09.07 | 14h25 • Mis à jour le 03.09.07 | 14h25

Projets de loi à répétition, dépénalisation du droit des affaires, convocation d'un juge, grogne syndicale : les relations se tendent entre les magistrats et Nicolas Sarkozy et sa ministre de la justice, Rachida Dati. Les nouvelles annonces du président de la République, jeudi 30 août, devant le Medef, ressuscitant le spectre d'un "gouvernement des juges" relance les polémiques contre les magistrats régulièrement déclenchées par Nicolas Sarkozy au ministre de l'intérieur.

Après un mois de juillet tourmenté, la rentrée est difficile pour Rachida Dati. Elle a subi les foudres des syndicats de magistrats, mais aussi de la Conférence nationale des procureurs, une association, peu connue pour ses éclats. L'annonce le même jour du départ de son chef de cabinet, Michel Marquer, ravivait le souvenir de la crise traversée par la Chancellerie, au moment de la démission, début juillet de son directeur de cabinet, Michel Dobkine. Les deux principaux syndicats de magistrats, l'Union syndicale des magistrats (USM, modérée, majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (SM, gauche, minoritaire) ont refusé d'accompagner Mme Dati, aux Pays-Bas, afin de ne pas "servir de faire-valoir à la politique de communication de la ministre".

Sur la méthode de la ministre, Emmanuelle Perreux, présidente du SM, dénonce "un affichage de concertation et de dialogue social qui n'a aucune existence réelle". En arrivant à la Chancellerie, Rachida Dati avait expliqué que sa porte était ouverte. "Nous sommes allés plus souvent au ministère de la justice en trois mois qu'en deux ans avec Pascal Clément", reconnaît Laurent Bedouet, de l'USM. Mais la discussion a été impossible sur les lois récidive. Le même scénario se profile sur les hôpitaux-prisons et le jugement des irresponsables, qui suscitent de vives réactions.


"INSTRUMENTS DU POUVOIR"

La polémique après la convocation d'un magistrat dépasse le cadre du conflit syndical et risque de laisser beaucoup de traces. Philippe Nativel, vice-procureur à Metz, a été convoqué à la Chancellerie, à la demande de la garde des sceaux, pour avoir dit en audience - ce qu'il conteste -, que "les magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir". Le Syndicat de la magistrature a alerté le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Bruno Thouzellier, président de l'USM, dénonce "une atmosphère kafkaïenne". La convocation du magistrat est perçue comme une volonté de reprise en main. "C'est le statut du magistrat du parquet qui est en cause et sa liberté de parole, explique le président de la Conférence des procureurs, Joël Guitton. Nous appliquons la loi, nous affirmons notre loyauté à l'égard de notre hiérarchie, mais nous ne sommes pas les instruments du pouvoir."

Plus fondamentalement, c'est le rôle du garde des sceaux qui est posé. On reproche à Rachida Dati de se contenter de traduire la volonté du président. L'avocat général, Philippe Bilger, réputé proche de la droite, le souligne sur son blog : "S'il se contente d'être la main dirigée par l'esprit présidentiel sans exprimer aussi la parole judiciaire auprès de Nicolas Sarkozy, il manquera son rôle et (...), il sera gravement atteint par une défiance chaque jour plus vive." D'autant que la ministre s'est engagée dans un chantier explosif, la réforme de la carte judiciaire, qui a déclenché d'importants mouvements en juin et nécessite un large consensus.

Alain Salles
Article paru dans l'édition du 04.09.07