Présidentielle
A Neuilly, l'ex-maire aurait bénéficié de renvois d'ascenseur
jeudi 01.03.2007


Le même promoteur a aménagé le duplex de Sarkozy et la ZAC locale.
Par Karl LASKE
QUOTIDIEN LIBERATION : jeudi 1 mars 2007

«J 'essaie de mettre la main sur l'autre menuisier», soupirait, hier matin, Claude Guéant, le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy. Dans son édition datée d'hier, le Canard enchaîné a révélé, factures à l'appui, le détail des travaux d'aménagement réalisés, en 1997, par un promoteur de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) dans l'appartement que venait d'acheter l'actuel ministre de l'Intérieur sur l'île de la Jatte. Un logement de prestige, précisément situé dans le périmètre de la zone d'aménagement concerté (ZAC) qu'il coordonnait comme maire de Neuilly jusqu'en 2002. Acquis pour 876 000 euros (5,7 millions de francs) à l'époque, ce duplex de 233 m2 a été revendu par le ministre en fin d'année dernière 1 942 000 euros (12,7 millions de francs).

Escalier. Selon le Canard enchaîné, le cabinet Lasserre aurait gratifié le maire aménageur d'au moins trois faveurs. En premier, selon les calculs de l'hebdomadaire, Nicolas Sarkozy aurait bénéficié, en 1997, d'un prix du mètre carré (24 636 francs) très inférieur à celui de la plupart de ses voisins (de 27 871 à 37 624 francs). «Sur le même immeuble, au même semestre, j'ai trouvé deux transactions à un prix inférieur», a nuancé hier Claude Guéant. Deuxième gentillesse : une semaine après la signature de la promesse de vente, le 9 juin 1997, des travaux sont engagés pour réunir deux appartements ­ ouverture d'un plancher, installation d'un escalier ­ à hauteur de 925 002 francs (141 000 euros). Une perte sèche pour le promoteur. Le duplex comprend une entrée, un salon, un bureau, une salle à manger, la jouissance privative d'un jardin, une terrasse de 50 m2, un escalier privatif, quatre chambres, deux salles de bains et balcons. Troisième problème : d'autres aménagements suivent jusqu'en octobre 1997 ­ 48 mètres linéaires de placards, baie, portes blindées, moulures en chêne. Ils s'élèvent à 907 535 francs (138 000 euros), selon le Canard, et Sarkozy n'en aurait réglé qu'une partie, 400 000 francs (61 000 euros), au promoteur. «Les travaux ont été payés, a rectifié Claude Guéant, hier. Pour un coût de l'ordre de 600 000 francs [91 000 euros, ndlr] ». Selon le directeur de campagne, certains travaux auraient été payés directement aux artisans, en particulier l'escalier ­ payé par chèque 72 360 francs (11 000 euros) par Nicolas Sarkozy, ainsi que des placards.

Ces faveurs immobilières, si elles étaient confirmées, pourraient s'avérer embarrassantes pour Nicolas Sarkozy. La création de la ZAC sur l'île de la Jatte est l'un de ses grands chantiers sur Neuilly. Peu après l'avoir lancée, en 1987, Sarkozy a cédé la concession d'aménagement ­ qui se traduira par 500 millions de francs (76 millions d'euros) de droits à construire ­ à la société d'économie mixte du 92 (SEM 92), présidée par Charles Pasqua. Le maire y a presque tout fait, y compris signer les permis de construire. En 2004, en récupérant la présidence du conseil général, il devient à son tour président de la SEM et aménageur de l'île de la Jatte... Sans y voir malice, il remet au passage à disposition de sa copropriété des terrains en bords de Seine pour un euro symbolique. «C'est normal qu'il ait voulu vivre dans le quartier qu'il avait contribué à réaliser», explique Joël Darcey, conseiller municipal, membre d'une association de protection de l'île. L'un des frères Sarkozy y habitait. Et son père Pal aussi, mais dans la partie levalloisienne de l'île. «Les prix étaient tirés vers le bas. Il est arrivé au bon moment pour faire une affaire», commente Joël Darcey. Les promoteurs tirent quand même leur épingle du jeu. «La ZAC a rendu constructible des terrains qui ne l'étaient pas à l'origine, explique Thierry Hubert, conseiller municipal Verts. Les berges côté Neuilly sont inondables. On y a construit en dépit du plan d'occupation des sols.»

«Témoins». Reste le promoteur. Aujourd'hui retraitée, Denise Lasserre a fait l'objet, hier, de moult sollicitations. Ainsi que l'a relaté le Monde, l'ancien directeur des services techniques de la ville, Jean Claude, a déboulé chez elle, hier, pour obtenir «devant témoins» l'assurance qu'elle n'avait consenti à Nicolas Sarkozy aucune remise sur le prix ni aucun avantage sur les travaux. Dans l'après-midi, le QG de campagne du candidat UMP diffusait un communiqué de Lasserre allant dans le même sens. Ni remise ni largesses. «Nicolas a fait expertiser le prix par les services fiscaux pour s'assurer qu'il s'agissait d'une fourchette normale, assure de son côté Louis-Charles Bary, l'actuel maire (UMP) de Neuilly. La société de Mme Lasserre a travaillé dans la ville de Neuilly comme beaucoup d'autres, comme Bouygues ou la Cogedim, mais ni plus ni moins.» Selon le maire, «aucune preuve» d'une ristourne sur le prix n'est apportée. Denise Lasserre «reproche à la mairie de ne plus lui donner de marchés». Elle a aussi perdu son fils, retrouvé mort sur l'un des chantiers de la ville, il y a quelques années. «Elle n'a plus d'équipe», tranche Barry. Denise Lasserre a d'ailleurs été tenue à l'écart de la dernière tranche de la ZAC de l'île de la Jatte.